La voie du silence

Écrire, c’est rester debout dans le silence.


Les blessures silencieuses

Il y a, dans la vie d’une personne, des blessures, internes ou externes, qui, par leur douleur, bouleversent une existence. Elles nous font perdre pied, redéfinissent nos repères, et laissent des traces profondes, parfois invisibles. Certaines sont intenses, d’autres passagères. Mais toutes marquent. Cette douleur, nous la connaissons tous. Pourtant, son poids varie selon les histoires. Elle dépasse l’imaginaire, parfois même la réalité. Pour traverser ces tempêtes, un seul carburant semble vraiment nous porter : l’amour. Mais l’amour est souvent mis à l’épreuve. Par la haine, par la violence, par les non-dits.

Si je vous parle de tout ça ici, sur ce blog, c’est parce que je vis avec ces blessures. Elles font partie de moi. Certaines sont visibles. D’autres, non. Mais toutes me construisent. Elles sont à la fois ma force et ma fragilité.

Je m’appelle Aya. Je suis née en Éthiopie, à la fin des années 90, dans une région marquée par la guerre. Avant ma naissance, un conflit armé opposait l’Éthiopie à l’Érythrée. Dans les champs, des soldats ont posé des mines antipersonnel. Un jour, en jouant avec ma sœur dans le champ de notre famille, l’une de ces mines a explosé.

Nous avons chacune perdu un œil.
Ma sœur est devenue non-voyante.
Quant à moi, je ne vois que d’un œil, avec une vision très altérée.

Cet accident a tout changé. Il a bouleversé nos vies. Et celles de nos proches. Après un long passage à l’hôpital, notre famille biologique a pris une décision douloureuse mais pleine d’amour : nous confier à l’adoption, pour nous offrir une chance. Une autre vie. C’est ainsi que nous avons été accueillies dans une famille française.

Je suis reconnaissante pour cette nouvelle vie. Pour les soins. Pour la sécurité. Pour l’amour. Mais cela ne veut pas dire que tout est facile. Cette partie de mon histoire est belle, oui. Mais elle a laissé des traumatismes profonds. Souvent invisibles. Jamais oubliés.

Quand on me regarde, on croit que tout va bien. Mais ma différence me blesse encore. Elle me gêne. Elle me fait pleurer. Je ressens une douleur silencieuse, constante, difficile à nommer. Je revois encore les photos de moi enfant, sans ma prothèse. Et parfois, je n’arrive toujours pas à croire que ce chemin, c’est le mien.

J’ai longtemps refusé d’accepter mon handicap. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à prononcer ce mot. Il me colle à la peau, sans que je veuille l’admettre. Et pourtant, il fait partie de moi.

En 2015, ma famille adoptive m’a offert le plus beau cadeau : retourner en Éthiopie. Revoir ma terre natale. Retrouver mes racines. Et surtout, retrouver ma famille biologique. Mes parents. Mes frères. Mes sœurs. Ce moment a été bouleversant. Mais essentiel.

Aujourd’hui, je vis entre deux mondes. Deux cultures. Deux réalités. Et j’apprends à faire la paix avec toutes les parts de moi. Un jour, j’aimerais pouvoir retourner là-bas pour aider. Pour construire. Pour rendre ce que j’ai reçu. Pour faire ma part.

C’est important pour moi de raconter cette partie de ma vie.
Parce que la guerre et les conflits continuent de briser des vies.
Parce qu’il est essentiel d’en parler, même quand c’est douloureux.
Même si certains croient déjà savoir.
Parce que beaucoup n’ont pas eu la même chance que moi.
Et beaucoup meurent à cause de leur handicap.

J’aimerais simplement aider à ouvrir les yeux sur ces douleurs invisibles.
Se moquer de la différence est facile.
Mais si vous saviez ce qu’il faut traverser pour apprendre à s’aimer…

Merci infiniment d’avoir pris le temps de lire.
🇪🇹🇫🇷❤️



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